Le muscle de l’espoir

J’ai traversé des seuils rencontré le partage

J’imaginais des sons des saveurs des reflets

J’inventais une durée par-delà tout naufrage

J’ai gravé l’avenir dans la moelle du passé

 

Je réduisais les murs

Transperçais les enceintes

J’ai aimanté les mots

J’ai dansé le silence

Sur les nervures du temps

 

 

J’ai comblé d’herbes

Les gouffres les brèches les failles

Enroulé de soleils la spirale des nuits

 

Au versant des carnages

J’ai sauvegardé l’oiseau

Poème d’Andrée CHEDID, extrait du livre Poèmes. Ed. Mille et une pages Flammarion. Novembre 2013. Par delà les mots, Le muscle de l’espoir p.828

Photo Marie Guillet

 

S’envoler à tire d’ailes

Le récit qui suit se situe chez un oiselier qui ouvrait chaque jour ses cages à oiseaux, histoire de savoir si ses protégés avaient soif de liberté.

Photo Cheminezenlair

De l’oisellerie, à vue d’oiseau, la perspective urbaine n’attirait guère, avec la rue encombrée et les passants pressés. Où l’oiseau pourrait-il se poser et qui l’écouterait chanter ?

Tout en sifflotant, l’oiselier guettait le moindre battement d’ailes et par prudence, il tenait à portée de main sa longue canne épuisette afin de récupérer les oiseaux rares et chers, incapables de vivre seuls sous un climat froid et au milieu du béton, eux qui avaient été capturés sous le soleil des Tropiques dans des forêts luxuriantes.

Photo Cheminezenlair

Il arrivait parfois qu’une colombe ou un mandarin ait envie de sauter sur l’épaule de l’oiselier puis sur l’étagère de l’entrée d’où il était possible d’apercevoir quelques cimes d’arbres du parc d’à côté et quelques balcons fleuris, et alors, dans ces cas là, l’envie d’évasion devenait très forte et la porte pouvait être vite franchie !

Photo Cheminezenlair

L’oiselier avait remarqué que ces derniers temps, il y avait peu de candidats à l’évasion et il trouvait ses protégés moroses.

Il s’interrogeait et tentait de trouver des explications.

Il est vrai qu’il avait accueilli un nouveau pensionnaire, un vieux perroquet qui avait beaucoup voyagé et qui se retrouvait là parce que sa propriétaire n’avait pas pu l’emmener lors de son dernier déménagement. Tout le monde sait que les perroquets sont bavards et qu’ils sont parfois surprenants dans leur bavardage.

Il racontait des histoires qui faisaient frémir les plus téméraires et provoquaient chez d’autres d’affreux cauchemars de mort où ils imaginaient leur squelette desséché au soleil ou présenté en planche anatomique.

Illustration tirée des Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes de Georges Cuvier, tome 1, 1812

« Méfiez-vous ! » disait-il de sa voix rocailleuse ! « Les hommes attrapent les oiseaux pour utiliser leurs ailes en plumeaux ! »

« Non ! » Criaient les oiseaux en choeur.

« Mais si ! » Insistait le vieux perroquet.

« Et une fois déplumés, ils ne peuvent plus voler ! »

« Oh ! Quelle tristesse ! »

Le jeune ara aux ailes très colorées évoqua la possibilité d’offrir immédiatement ses plumes à un chef indien ce qui lui semblait plus honorable que de les imaginer épousseter les poussières.

Photo Cheminezenlair

Le vieux perroquet poursuivait :

« Si vous croisez l’oiseleur, vous courez le risque de vous empêtrer dans ses filets et ensuite vous serez rôtis à la broche ! »

« Quelle triste perspective ! »

« Vous pensez trouver la liberté mais vous quitterez votre petite cage pour d’autres cages peut-être un peu plus grandes comme par exemple dans les parcs animaliers mais vous serez toujours prisonniers et tributaires d’un soigneur. »

Photo Cheminezenlair

« De plus, vous n’avez pas idée du froid glacial en hiver, vous qui êtes toujours au chaud dans cette boutique et je peux vous dire que même en gonflant leurs plumes, les oiseaux qui vivent dehors quand il gèle, grelottent et ils tentent de taper aux carreaux pour obtenir un peu de graisse mais ils ne sont pas toujours entendus. »

Photo Cheminezenlair

Les oiseaux répliquaient : « Si nous retrouvons notre liberté nous pourrons trouver l’amour et avoir des petits ! « 

« Ah! Oui ! Peut-être ! Mais attention à vos couvées, les prédateurs sont nombreux et les chats ou les vautours guettent leur proie. »

Photo Cheminezenlair

Photo Cheminezenlair

Toutes ces perspectives étaient bien pessimistes, mais voilà qu’au milieu de ses prédictions entra dans le magasin une cartomancienne qui était à la recherche de quelques plumes pour exercer l’ornithomancie.

L’oiseleur gardait vers lui les plumes que les oiseaux perdaient et il en offrit quelques unes à cette dame.

Photo Cheminezenlair

Les oiseaux profitèrent du passage de cette visiteuse spéciale pour se faire prédire leur avenir.

« Voyons ! Voyons ! » commença la diseuse de bonne aventure. « Je vois la chance vous sourire dans un avenir proche. »

Et là, les oiseaux furent surpris d’entendre qu’il existait des destins beaucoup plus joyeux et sympathiques que ceux décrits par le vieux perroquet.

« Même si vous restez en cage, vous serez entourés par des enfants et grandes personnes qui vous aimeront énormément et vous ne manquerez ni d’eau, ni de graines, ni de lumière.

Si c’est un ornithologue qui vous adopte, il vous cajolera, enregistrera vos chants, vous mitraillera avec son appareil photo et vous proposera la liberté conditionnelle dans des espaces aménagés où vous pourrez vous reproduire.

Au cas où vous souhaiteriez vous évader et découvrir d’autres horizons, vous pourrez voler au-dessus des toits et apprendre auprès des oiseaux migrateurs les chemins à suivre. Il vous faudra prendre de la hauteur et vous pourrez découvrir le monde vu d’en haut. »

Photo Marie Guillet Boniou

De mémoire de perroquet, la cartomancienne mentait !

L’oisellerie se remplit de piaillements joyeux et le vieux perroquet répéta avec force : « Ce sont des sornettes, moi je n’ai jamais vu ça !! »

Mais les autres oiseaux voulaient croire qu’ils auraient d’heureux destins et étaient curieux de savoir ce que leur réserveraient les lendemains.

Enfin, dans leur rêves, ils s’élevaient joyeusement au-dessus des toits et se déplaçaient à tire d’ailes !

Photo Marie Guillet Boniou

La liberté leur apportait une ivresse indescriptible et ils s’en donnaient à coeur joie, voletant, virevoltant, se posant sur les toits et les cheminées d’où ils pouvaient envisager d’autres parcours avec plein d’envies de découvrir ce monde qui s’offrait à eux.